Pour un nouveau paradigme. La dichotomie conceptuelle entre espace et temps est (devenue) un obstacle aux progrès de la pensée : commençons par le mouvement !
Résumé
De plus de deux mille ans de réflexion philosophique et physique, nous héritons les deux concepts séparés d'espace et de temps. La théorie physique de la relativité promeut une association plus étroite entre temps et espace, mais elle ne change en rien cette dichotomie conceptuelle : elle relie les lectures faites sur les règles et celles faites sur les horloges ; mais il y a toujours deux catégories d'instruments, il y a toujours deux concepts, il y a toujours dès le départ deux types de variables. Cette situation cache divers embarras. Nous les résumons dans le malaise que l'esprit ressent devant la séparation originaire d'où nous sommes partis : comment penser le temps sans l'espace (sans le monde !) alors que toutes les expériences du temps qui " compte " nous renvoient à des mouvements dans l'espace ? Et comment penser l'espace sans le temps alors que notre expérience de l'espace est construite par les déplacements que l'on y effectue, réels ou simulés dans le cerveau, avec le temps qui les supporte ? Pour parler nous avons besoin des deux séparément, mais ce qui est réel ce n'est pas le temps ni l'espace, c'est le lien entre les deux. Nous appellerons mouvement cette association de l'espace et du temps : ce mot a à la fois un sens spatial, dans l'amplitude du mouvement, et temporel, dans le procès du mouvement. Dans le présent texte, nous voulons promouvoir le mouvement à la " première " place, positionner espace et temps de façon " seconde ", retrouvés dans la comparaison de divers mouvements, et esquisser des directions de recherche à mener à partir de là. Quelques exemples montrent de façon préliminaire comment un tel changement de perspective s'opère et ce qu'il peut apporter. En énonçant la primauté du mouvement, nous devons affronter de redoutables difficultés logiques. Pour en sortir, il faut d'abord promouvoir, en même temps que nous le faisons pour le mouvement, un renouveau de la compréhension de notre rationalité, c'est-à-dire de la façon dont nous construisons nos représentations du monde. Et composer une rationalité cartésienne ou substantielle (celle d'un observateur qui regarde le monde de l'extérieur : le temps d'un côté, l'espace de l'autre) avec la rationalité d'un observateur qui ne peut regarder le monde de l'extérieur ; au sein du monde, il ne peut pour en parler que comparer et opposer les choses les unes aux autres (le temps n'est pas l'espace, l'espace n'est pas le temps). Il faut ensuite choisir un " point de départ ", non d'une démarche logique qui n'a pas de départ, mais en nous appuyant sur une pratique particulière. Le jeu en vaut la chandelle. Il nous libère des carcans et des embarras d'une dualité devenue figée et sclérosante à l'œuvre dans tous les domaines, de la linguistique à la physique, en passant par les arts et la philosophie. Il nous amène à saisir la part d'arbitraire dans la construction, à partir de la multiplicité des relations, de l'espace et du temps, dont le fond continue de nous échapper ; il nous amène à voir les multiples transhumances observées entre espace et temps, non comme des hasards, mais comme constitutives de la réalité, loin d'un schéma bipolaire. Il apporte enfin de nouvelles règles pratiques pour la compréhension et l'action, en continuité avec ce qui a déjà été pensé.
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